ISSN 2970-2321
ISSN 2970-2321
Cluster : Kneiss
Sous-bassin : TUNISIE EST
Contributeurs :
Vincent Rivière, Sami Ben Haj, Moez Shaiek
Date de création : Avril 2021
Pour citer cette version : RIVIERE , V., BEN HAJ, S., SHAIEK, M. (2021). Fiche île : Grande Kneiss – Sous-bassin : Tunisie Est. Atlas des Petites Iles de Méditerranée. https://pimatlas.org/explorer-atlas/iles/grande-kneiss/
Commune | Sfax | |
Archipel | Archipel des îles Kneiss | |
Surface (ha) | 436.24 | |
Linéaire côtier (mètre) | 11087 | |
Distance à la côte (Mile nautique) | 1.67 | |
Altitude max (mètre) | 7 | |
Coordonnée géographiques | Latitude | 34,366390228271 |
Longitude | 10,314444541931 | |
Propriété foncière | Publique 100% Etat – Domaine public maritime | |
Gestionnaire(s) | Unité de cogestion :
Direction Générale des Forêts (Ministère de l’Agriculture)/APAL (ministère de l’environnement) / ACG (Association of Continuity of Generation) |
|
Statut de protection | national | Réserve naturelle (TN), 1993, Terre et Mer
Zone humide d’Importance nationale (TN), 1993, Terre et Mer |
international | Zone humide d’importance internationale (RAMSAR), 2007, Terre et Mer |
Localisées sur la côte de Tunisie sud-orientale, dans le Golfe de Gabès et au large de la localité d’El Hchichina, les îles Kneiss se situent dans la délégation de Ghraïba du gouvernorat de Sfax (65 km au sud de la ville). L’archipel émerge faiblement au-dessus du niveau de la mer, entouré d’un système de marais littoraux englobant l’ensemble des îles et contribuant également à leur protection contre la houle et l’érosion marine. Cette barrière naturelle a d’ailleurs valu à l’archipel le nom de Surkenis, ou mur des Kneiss. Située à plus d’un mile et demi de la côte, El Bessila, ou Grande Kneiss, est l’île principale de l’archipel. D’une surface émergée de 436 ha, cette île plane et sableuse culmine à 7 mètres au-dessus du niveau de la mer. Elle s’étend sur un ensemble de haut-fonds sablo-vaseux de 5 850 ha, au sein desquels émergent 4 autres îlots d’une surface très modeste, El Hajar, El Laboua, El Garbia Nord et Sud. Le marnage important du secteur atteignant 2 mètres lors des plus fortes marées (Hattour et al., 2010), l’accès aux îles devient particulièrement délicat à marée basse, et contraint les navigateurs à une parfaite connaissance des chenaux (oueds) traversant les hauts-fonds. Sur le plan géologique et pédologique, l’île principale et les îlots sont formés de grès marin typique de la formation Rjiche attribuée à l’Eutyrrhénien (environ 120 000 ans B.P.), épisode transgressif du dernier interglaciaire au cours duquel le niveau de la mer était supérieur à l’actuel d’une dizaine de mètres (Gueddari & Oueslati, 2002). Le sol est marneux, fortement hydro-halomorphe et limo-sableux sur les points surélevés de l’ile de Bessila notamment. L’île est globalement constituée : – D’une zone fortement soumise à la marée, constituée d’une slikke et d’un schorre buissonnant, traversée par des chenaux de marée ; – D’une zone fortement halophile rarement submergée constituée de successions de sebkhas et chotts, caractérisés par une végétation buissonnante à Arthrocnemum, Sarcrocornia sur fonds limono-vaseux, – De plateaux éoliens de très faibles altitudes (7 mètres au maximum) dans la partie est de l’île, constitués d’une végétation steppique à buissons ponctuels plus clairsemée à Lygeum et Stipa sur sol sableux. On rencontre entre ces deux dernières formations des dunes éoliennes et sebkhas, dont on suppose au regard de la nature des déchets déposés, une submersion lors d’épisodes de très fortes marées. La zone intertidale des îles Kneïss apparait sous forme d’un large platier marin tapissé par les phanérogames (telles que les Cymodocées et les Zostères), parcouru par d’innombrables chenaux qui remontent jusqu’au niveau du continent. Les prospections menées en 1992 et en 1999 par Ben Mustapha et al., décrivaient l’herbier de posidonie dans la région des îles Kneïss comme étant un herbier en très bon état avec présence de nombreux récifs barrières. L’île n’est pas aménagée pour l’accueil touristique, et les usages, peu nombreux sur l’île, se limitent à la pêche et l’élevage ovins. L’île n’accueille aucune habitation permanente, mais des campements de pêcheurs quasi-permanents (10 mois par an) sont installés au nord de l’île, malgré l’absence de ressource en eau. Outre ces populations résidentes, des groupes de femmes pratiquant la pêche à pied sont débarqués chaque jour, et fouillent méticuleusement la vase à la recherche de bivalves (Palourdes, Clovisses…), soulignant l’importante ressource conchylicole de la vasière et le revenu que son exploitation représente pour les familles habitant les villages côtiers. Les déchets plastiques notamment, apportés par la marée ou laissés par les résidents, parsèment l’ensemble de l’île.
Les informations disponibles sur l’occupation humaine ancienne des îles Kneiss sont assez hétérogènes et concernent surtout, a priori de manière assez paradoxale, les plus petites entités insulaires. En effet, la Grande Kneiss (El Bessila) ne semble avoir été occupée que de façon très sporadique, et bien peu de vestiges ont été jusqu’alors signalés.
Durant l’Antiquité classique, l’archipel des îles Kneiss est uniquement mentionné dans le périple grec du pseudo-Scylax, document anonyme daté du IVe ou IIIe siècle avant notre ère. Ce portulan souligne le caractère “d’île déserte”, mais sans que le nom de ces lambeaux de terre ne soit parvenu jusqu’à nos jours.
Le nom collectif d’îles Kneiss (pluriel de Knissa signifiant église en arabe) tire son origine de la présence d’un édifice religieux chrétien dont la fondation remonte à l’Antiquité tardive (Trousset et al, 1992 ; Trousset, 2008). Le monastère, dont seules quelques traces sont encore visibles aujourd’hui, aurait servi de retraite à Saint Fulgence de Ruspe au VIè siècle (voir encadré).
Il existe en outre sur El Bessila des vestiges d’une citerne antique, au sud-est de l’île, entourée de débris d’amphores datant du Vè – Viè siècles).
En 1587, le recueil Costa e discorsi di Barbaria de F. Lanfreducci et J.O. Bosio, de l’Ordre de Malte, mentionne les îles Kneiss sous le terme de Friscioli : “les Friscioli, dans les bancs, à vingt-cinq milles de Tarf el-Ma, constituent un bon ancrage parce qu’il y a partout des bas fonds“.
Sur les cartes marines de la Renaissance et un portulan du Moyen Âge, l’île principale était en effet nommée Frixols, Frissols ou Frexolis. Sur plusieurs cartes marines des XIXe et XXe siècles, l’ensemble formé par les bancs et les îlots est désigné par l’appellation traditionnelle arabe de Surkenis qui signifie le “mur” ou la “clôture” des Kneiss. L’île Kneiss est ainsi encore appelée Surkenis dans la carte anglaise de Smyth, Elson et Slatyer et dans la carte au 1 : 35 000 datant de 1960 élaborée par le Service hydrographique de la marine (SHOM).
Sur le plan biologique, le premier inventaire de la flore vasculaire a été réalisé en 2003 par M. Chaïeb, faisant suite à un inventaire détaillé des diptères (par Cassar en 2002), puis à un inventaire des reptiles et les scorpions étudiés en 2004 par S. Nouira. L’avifaune reste de loin le compartiment biologique terrestre le plus étudié. Les oiseaux hivernants font l’objet de suivis réguliers depuis 1995 par l’Arrondissement des Forêts de Sfax. Sur la base de ces inventaires, une mission organisée en avril 2015 par l’initiative PIM a pu permettre aux experts mobilisés de comparer ces résultats.
La biodiversité marine est en parallèle bien connue. Les premières description des zones intertidales des Kneiss sont livrées par Seurat en 1929 et 1934 (in Bouain et al., 2004) qui décrivait cette zone comme étant caractérisée par du sable vaseux mou enlisant tapissé de végétaux généralement découvert à marée basse de vive eau. Cet auteur livrait également un descriptif précis des diverses espèces de mollusques exploitant ces habitats littoraux. La zone intertidale a continué de bénéficier de campagnes d’évaluations complémentaires en 1992 et 1999, puis en 2004. Ces récentes prospections ont permis de mettre en évidence la présence d’herbiers de Zostères, jusqu’à lors non documentée sur les îles Kneiss (Bouain et al., 2004).
Il est rapidement apparu que l’archipel des îles Kneiss et son complexe de zones humides était d’importance internationale pour la conservation des oiseaux d’eaux. Les îles Kneiss sont décrites comme l’une des principales zones d’hivernage des limicoles en Méditerranée. Birdlife International relate plus de 330 000 oiseaux d’eau hivernants. Le site est le plus important de la région eurafricaine pour l’hivernage du bécasseau variable (Calidris alpina), avec une estimation de 125 000 individus.
Plusieurs espèces menacées sont également recensées, parmi lesquelles peuvent être citées : la Grande Aigrette (Egretta alba), le Flamand rose (Phoenicopterus roseus), la Spatule blanche, (Platalea leucorodia) et le Goeland railleur (Larus genei).
Des effectifs importants de limicoles nichent également sur l’île et ses abords : le Gravelot à collier interrompu (Charadrius alexandrinus), l´Avocette élégante (Recurvirostra avosetta), l´Echasse blanche (Himantopus himantopus) et le Chevalier gambette (Tringa totanus). Une autre spécificité remarquable des espèces nicheuses est celle de l’aigrette garzette (Egretta garzetta), qui niche sur le sol uniquement aux Kneïss, au contraire des autres sites connus.
Cette richesse avifaunistique ne peut être dissociée de la forte productivité du milieu intertidal entourant les îles : l’étendue des zones vaso-limoneuse ainsi que l’abondance et le recouvrement des herbiers font de cet espace une zone de ressource essentielle à ces populations. Par ailleurs, outre l’intérêt ornithologique qu’entraine cette productivité, cette dernière bénéficie largement aux populations humaines littorales, exploitant largement ces ressources halieutiques et conchylicoles.
Toutefois, cette richesse avifaunistique contraste avec la faible diversité herpétologique et floristique. En effet, sur le plan herpétologique, en l’état actuel des connaissances, le cortège est limité à 4 espèces (1 gekkonidé, 1 scincidé, 1 lacertidé et 1 ophidien). La faible diversité d’habitat et l’absence de source d’eau douce sont certainement les principaux paramètres expliquant cette faible diversité. Les inventaires floristiques dressent un constat similaire. Seuls 74 taxons ont été retrouvés en 2015. Outre les pressions qui s’exercent sur le site et les éventuelles erreurs de déterminations, les botanistes expliquent cette faible diversité par la monotonie du modelé topographique de l’île qui ne permet pas la présence d’habitats variés ; l’altitude très faible et la grande extension des sansouires et sebkas limitent la diversité des niches écologiques potentielles et donc l’expression d’un contingent floristique varié. La flore liée aux pelouses xérophiles rocailleuses, aux habitats rupicoles ou aux zones humides d’eau douce est ainsi totalement absente.
A titre plus anecdotique, notons que l’inventaire mené sur les diptères en 2004 a permis de mettre en évidence la présence de 4 espèces endémiques tunisiennes, dont 7 signalées pour la première fois en Tunisie et 3 nouvelles pour la science. Cependant, ce dernier groupe faisant l’objet de très rares inventaires, la mise en perspective biogéographique de ces résultats doit être limitée.
Globalement, ces éléments concourent à une mise en valeur écotouristique du site, dont le potentiel est aujourd’hui largement sous exploité.
Les études menées sur le site mettent en évidence (APAL, 2008) :
– une production halieutique en forte baisse en raison d´interférences avec des méthodes plus destructrices comme le chalutage dans des zones interdites très proches de la côte. Cette baisse indique une perturbation profonde des écosystèmes et des chaînes de production qu´ils supportent, notamment les herbiers de phanérogames (Posidonies et Zostères).
– L´accroissement de l´industrialisation le long du littoral au sud du complexe des Kneïss, et de ce fait de la pollution, ont un impact négatif certain sur les ressources marines de la région.
Par ailleurs, on peut supposer que la présence des troupeaux d’ovins non gardés entraîne une perturbation des oiseaux nicheurs sur la zone émergée, tandis que les limicoles nicheurs et hivernants sont dérangés par l’intense activité de pêche, se traduisant par un dérangement le long de l’estran et une baisse de la ressource halieutique. Ces facteurs pourraient entraîner à terme une baisse de la richesse avifaunistique, tandis que les effectifs de Goélands leucophée, Larus michaehellis, sont en augmentation. La gestion de ces populations est d’ores et déjà envisagée dans les éléments de synthèse préalable au plan de gestion rédigé par l’APAL en 2008. Enfin, la collecte d’œufs par les populations de pêcheurs est un dernier aspect dont l’impact n’est pas évalué sur les populations d’oiseaux.
Sur le plan floristique, la comparaison des inventaires menés en 2015 et 2003 met en évidence un profond turn-over floristique. En effet, 50 taxons (espèces et sous-espèces) parmi les 89 recensés sur la totalité de l’île par Chaieb (2003) n’ont pas été revus en 2015, tandis que 35 taxons recensés en avril 2015 n’avaient pas été inventoriés par M. Chaieb. Au final, seulement 39 taxons sont communs aux deux inventaires, soit seulement 31 % de la flore totale de l’île. Les auteurs soulignent l’impact humain accru (campements semi-permanents) ajouté au pastoralisme qui a probablement engendré une modification de la structure de certaines communautés végétales, et de leur composition floristique. D’autre part, ils identifient la submersion sous l’effet de la marée et l’accroissement des zones de sansouires constaté durant cette dernière décennie, comme facteur ayant engendré aussi la raréfaction de plusieurs taxons, sans bien entendu oublier l’effet des épisodes de sécheresse qui s’intensifient en Tunisie méridionale durant ces dernières années. Enfin, ils identifient également l’impact potentiel des populations de Goéland leucophée sur ce turn-over floristique.
En synthèse, on observe que l’île El Bessila, est soumise à deux principales sources de pressions dont l’impact est identifié aujourd’hui, et dont les conséquences devraient s’accroître à court terme :
– Un impact lié aux activités humaines, malgré le statut d’espace protégé à l’échelle nationale et internationale, dont la présence quasi permanente entraine une probable surexploitation des ressources, une perturbation et une modification des cortèges biologiques encore présents ;
– Une forte vulnérabilité liée aux changements climatiques, et notamment à la remontée du niveau marin, dont le chapelet d’îles au sud d’El Bessila (vestige d’une île plus importante aujourd’hui érodée et submergée) illustre parfaitement les conséquences.
L’île d’El Bessila, à l’instar de l’ensemble des îles de l’archipel des Kneiss, bénéficie du statut de réserve naturelle depuis 1993, intégrant les surfaces émergées et les haut-fonds environnants, sur une surface globale de 5 850 ha. Sa gestion est la responsabilité de la Direction Générale des Forêts, dépendant du ministère de l’Agriculture et du Développement Rural. La surveillance et la communication envers le public sont effectuées depuis le local d’El Kaouala. Cependant, le gestionnaire ne dispose pas de moyen de surveillance nautique.
La richesse biologique marine et terrestre du site a été reconnue à l’échelle internationale, se traduisant par un classement en tant qu’ASPIM (Aire Spécialement Protégée d’Importance Méditerranéenne) en 2001, puis son inscription en tant que zone humide d’importance internationale sous la convention de Ramsar en 2007, notamment du fait de la richesse ornithologique qu’il accueille. Par l’agrégation de ces différents statuts, la surface protégée est aujourd’hui de 22 027 ha, intégrant l’ensemble du complexe de zones humides, insulaires et littorales, et engageant le site dans un processus de gestion intégrée, la GIZC (Gestion Intégrée des Zones Côtières).
Toutefois, compte tenu des contraintes d’accès et logistique, le site ne bénéficie pas d’une surveillance permettant de faire respecter la réglementation. Ainsi, les activités illégales de pêches, telle que la pratique du Kys, sont encore pratiquées. De plus, malgré ces différents statuts de protection, il faut attendre 2008 pour que l’APAL (Agence d’Aménagement et de Protection du Littoral), produise le premier plan de gestion du site.
Ce plan de gestion dresse un programme de mise en œuvre d’actions de priorité hierarchisée. Ces actions concernent la gouvernance du site, la constitution de l’unité de gestion, le zonage spécifique et l’application de la réglementation, les suivis et amélioration des connaissances, et le développement des activités écotouristiques impliquant les populations locales.
Ce plan de gestion et les actions s’appuient sur un diagnostic solide de l’existant. Les actions proposées sont cohérentes avec les expertises réalisées lors des missions scientifiques organisées dans le cadre de l’initiative PIM, même si certains ajustements pourraient être envisagés à la lumière des expertises complémentaires réalisées. Des actions sur la gestion des espèces invasives n’ont pas été identifiées pour exemple.
Au regard de la vulnérabilité de l’archipel des îles Kneiss, et a fortiori d’El Bessila, concentrant la majorité des enjeux terrestres, la priorité des actions à mener est la mise en œuvre du plan de gestion.